Les Any males de Didier Illouz
Didier Illouz travail avec la photo, le graphisme, la retouche numérique et le tournages de films.
Dans sa série « Any males » il à photographié des personnes de son entourage, et dans la suite – grâce aux possibilités de montage offertes par la retouche numérique- a mélangé leur visages avec celui d’un animal de leur choix.
Le résultat sont des êtres hybrides, mis hommes, mis animaux, qui rappellent les visons mystiques des traditions du chamanisme, les métamorphoses des lycanthropes, des rêves mystérieux de thérianthropie.
Si assez souvent des projets aussi poussées de retouches aboutissent à des images évidement fausses et de mauvais goût, les photographie de Didier Illouz sont très élégantes et équilibrées, avec le plus souvent un beau noir et blanc aux teintes sépia, une gamme de gris qui rappelle les photos tirées pré-exposant le papier pour les voiler. Une belle façon de faire le tour entre l’imaginaire visionnaire du numérique et les traditions photographiques.
Fabiano Busdraghi : Peut tu raconter ton histoire de photographe ?
Didier Illouz : J’ai toujours été attiré par les images, et le fait de vouloir en faire est venu naturellement et progressivement.
Fin des années 80, il m’arrivait de passer des journées entières sur mon ordinateur, à dessiner et tenter de reproduire des photos sur les premiers logiciels d’image.
Puis, au grès de rencontres, j’ai pratiqué la prise de vue et le tirage noir et blanc ce qui m’a permis d’expérimenter des techniques de tirage, de virage et de colorisation de mes épreuves.
Après un DEUG de sciences, j’ai passé 2 ans à étudier le cinéma et la vidéo et j’ai ainsi obtenu une Maîtrise des Sciences et Techniques. A la suite de quoi, pendant plusieurs années j’ai fait de nombreux aller-retours entre la photographie, le graphisme et les tournages de court-métrages, un peu d’étalonnage numérique et du Vjing. Il m’était difficile de choisir parmi ces disciplines.
Actuellement je consacre mon temps à la prise de vue, au graphisme et à la retouche.
Fabiano Busdraghi : Qu’est ce que représente pour toi la photographie ?
Didier Illouz : A mes yeux, la photographie représente un fabuleux moyen d’expression, d’échange. Une moyen de matérialiser une idée, de créer et proposer un univers, de faire passer un message, de témoigner, de marquer les esprits ou tout simplement d’immortaliser et de magnifier la Beauté.
Fabiano Busdraghi : Est-ce que tu peux nous parler de ta série “Any males” ?
Didier Illouz : L’idée de départ de cette série consiste à proposer à des personnes de mon entourage de choisir un animal, puis d’être photographiées afin de me permettre de fusionner leurs visages. Cette idée m’est venue suite à la découverte du chamanisme Améridien et du parallèle que ces peuples font entre les caractéristiques d’un animal et ce qu’un individu peut traverser durant son existence. Rapprochement de l’Homme avec l’Animal – Rapprochement de l’Homme avec la Nature. Trouver une manière de dévoiler l’Animalité présente en chacun de nous.
D’un autre coté, durant mes études de sciences, j’ai passé des années à étudier la biologie, la zoologie, la botanique, la génétique, les croisements et les mutations… J’ai baigné dans cette approche scientifique ce qui a façonné ma vision des processus de création de la vie.
Actuellement, nous sommes témoin de l’intervention de l’homme sur son environnement à de nombreux niveaux, et aux bouleversements que cela entraîne : le lundi 19 mai 2008, le Parlement britannique a autorisé la recherche sur des embryons hybrides issus de l’intégration d’ADN humain dans des ovules d’animaux.
Mes images anticipent les conséquences plus ou moins hasardeuses et/ou désastreuses de ce type de manipulations.
Il est question ici d’amener une réflexion sur le positionnement de l’Homme face à la Nature, de son pouvoir, et des éventuelles conséquences résultant du bouleversement des processus naturels.
Fabiano Busdraghi : Tes images sont souvent sombres et inquiétantes. On a l’impression de voire les monstres, des êtres un peu méchants, mi bête mi hommes. Pourquoi t’es attiré par ce coté obscur de l’humanité ? Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Didier Illouz : Je ne trouve pas mes images sombres, et je ne pense pas que mes créatures soient méchantes. J’essaie de faire ressortir une certaine mélancolie dans ces portraits. C’est ce que la situation actuelle de notre époque m’évoque. Quant au coté obscur de l’humanité, il faut plus prendre cela dans le rapport que l’homme entretient avec l’animal.
Fabiano Busdraghi : Ta série Any males me rappelle en partie le travail de Daniel Lee, mais tes images sont encore plus oniriques et irréelles. Quelle sont d’après toi le différences et les analogies dans vos travails ?
Didier Illouz : Je ne connaissais pas le travail de Daniel Lee. J’aime beaucoup, particulièrement la série Manimales. C’est d’ailleurs le premier titre que je souhaitais donner à cette série.
A mes yeux, son travail est plus pictural. Il n’hésite pas à déformer ces visages afin de les rapprocher du faciès animal, et ce sans faire usage d’attribut animal. Sa série est également plus homogène.
Je suis très admiratif.
Fabiano Busdraghi : Concernant ton travail personnel, est-ce que tu prends en photo uniquement des modèles professionnels ou aussi des amis, des personnes rencontrées dans la rue, etc ? Dans ce cas, quelle est la différence quand tu travail avec quelqu’un qui n’est pas habitué à poser ?
Didier Illouz : Toutes les personnes qui ont posé pour la série Any males font parti de mon entourage. Il n’y a aucun modèle professionnel. De ce fait, ces personnes ne sont pas toutes habituées à poser.
La prochaine étape consiste à aborder des personnes dans la rue mais je ne me sent pas encore tout à fait prêt. Le plus dur étant de commencer.
Fabiano Busdraghi : Beaucoup des gents pensent que une photographie retouché n’est plus une vraie photographie, en générale ces personnes pensent que la photographie devrait exclusivement être une représentation fidèle de la réalité. Personnellement je pense qu’une représentation fidèle de la réalité est impossible et que une “vraie” photographie n’est rien d’autre qu’une illusion. Est-ce que des fois des gens te disent que tu ne fais pas de la photo mais autre chose ? Quelle est ta réponse dans ce cas ?
Didier Illouz : L’été dernier, j’ai participé à un concours où mes images étaient diffusées sur le net et chacun pouvait laisser des commentaires. Un des participants se demandait s’il s’agissait toujours de photographie, du fait que l’importance de la retouche.
Personnellement, je pense que toute image est retouchée. Jouer sur la chromie d’une image, pour moi, c’est de la retouche d’une certaine manière. Passer en noir et blanc une scène en couleur est loin d’être une représentation fidèle. Utiliser telle ou telle focale transforme également notre vision de la réalité.
Je fais de la photo et de la retouche. Les deux sont pour moi des moyens d’expression complémentaires, ce qui me permet au final de créer des photographies. Quand bien même la photographie joue le rôle de matière première, je considère que le résultat reste une photographie.
Fabiano Busdraghi : Qu’est ce que tu penses donc de la manipulation numérique des images ?
Didier Illouz : Au début de l’histoire de la photographie, les photos existaient sous la forme de plaque de verre. Actuellement, les photographies sont de nature numérique. Et de tout temps, les photographes ont cherché à manipuler leurs images au moyen des techniques de leur époque.
Aujourd’hui, l’informatique nous permet de réaliser des trucages impossibles à obtenir autrement. Et je suis heureux de pouvoir en profiter.
D’un autre coté, je ne suis pas attiré par les images retouchées avec excès. Quand je retouche un portrait en mode, je travaille à embellir le modèle, mais j’évite à tout prix de déformer son visage, de m’éloigner de ses traits naturels.
Fabiano Busdraghi : Les photos de ta série Any males sont des photos argentiques retouché avec une retouche numérique. Pourquoi ne pas travailler directement en numérique ? Qu’est ce que t’attire de la photographie argentique ?
Didier Illouz : Jusqu’à présent je travaillais avec un reflex argentique Leica puis je numérisais mes films. Ce qui permettait d’atteindre un rendu spécifique et une taille de fichier suffisante pour tirer mes images à un format conséquent (60x80cm). C’était une méthode assez longue, fastidieuse et coûteuse, mais pour atteindre cette qualité en numérique, il fallait jusqu’à présent travailler avec des boîtiers numériques professionnels (ce qui n’était pas dans mes moyens).
Donc j’ai pris mon mal en patience depuis quelques années en attendant que sorte le boîtier de mes rêves – full frame avec beaucoup de pixel. Ce jour est enfin arrivé (depuis peu) avec la sortie de l’eos 5D mkII. Je viens d’en faire l’acquisition.
Cela bouleverse pas mal de choses. Il va me falloir un certain temps d’adaptation mais pour l’instant, je n’y vois que du bon.
Fabiano Busdraghi : En ce moment tu es en train de travailler sur quel sujet ? Comment il se différencie par rapport à tes travaux précédents ? Est-ce que tu as quelque projet pour l’avenir qui tu n’as pas encore commencé ?
Didier Illouz : Beaucoup de projets en tête. Pour l’heure je ne me suis pas encore décidé, j’expérimente des pistes. Le plus dur étant de faire un choix. Tenter un rapprochement entre l’humain et le végétal, voilà une éventuelle piste. Ou bien travailler sur le paysage… En tout cas, faire évoluer ma manière de travailler en commençant par me familiariser avec l’outil numérique. Ensuite, tout va aller beaucoup plus vite (je l’espère).
Fabiano Busdraghi : Est-ce que la diffusion de ton travail se fait surtout grâce à Internet ou elles suivent des voies plus classiques ? Est-ce que tu lit régulièrement des magazines en ligne ou des blogs de photo ?
Didier Illouz : Je diffuse à la fois mon travail via mon site, des parutions dans la presse, des concours photo, des expositions et des ventes aux enchères.
Bien évidemment, je découvre tout les jours des sites, des magazines en ligne et des blogs sur la photographie. Je m’y rend de manière assez aléatoire et irrégulière – “tant de choses à faire et à voir et si peu de temps”. Je suis de nature très curieuse mais s’agissant de photo, je sature très rapidement. Je suis incapable de passer des heures à regarder des centaines de photos. Au bout d’un moment, naturellement je dis stop. La surconsommation d’images n’est pas mon truc.
Fabiano Busdraghi : Tous les photographes ont des « photo jamais faite ». Des imagines que pour le limites techniques du moment, lenteur, manque de matériel, fautes etc n’ont été jamais prise, et sont perdues pour toujours. Je m’attache souvent à des « photo jamais faite » elles deviennent un très bon souvenir. Peux tu nous raconter une de tes « photo jamais faite » ?
Didier Illouz : Bon nombre de mes projets photos correspondent à des “photos jamais faites”. Durant ces dernières années, j’ai eu de nombreuses idées ou concepts qui n’ont pas vu le jour. Que ce soit dans une salle de cinéma, devant la télévision ou pendant une exposition, vous réalisez qu’une personne a eu la même idée que vous, et que cette idée a été concrétisée et matérialisée.
C’est un sentiment qui peut être vraiment frustrant. Du coup, soit l’on abandonne l’idée, soit l’on essaie de l’amener plus loin.
Fabiano Busdraghi : Et l’histoire d’une des images qui accompagnent l’interview?
Didier Illouz : Concernant la photographie “Christophe” (l’homme/aigle), le modèle, un ami, est médium ; il lui arrive d’avoir des visions spontanément. Et il se trouve que dans le chamanisme amérindien, l’aigle correspond à l’Esprit et donc aux visions.
Fabiano Busdraghi : Un photographe dont tu aime très particulièrement le travail et pourquoi.
Didier Illouz : En choisir un seul m’est très difficile. Un photographe parmi tant d’autres : Mark Holthusen.
J’aime sa mise en scène, ses formats, sa palette de couleurs, son univers, son regard, sa maîtrise de la lumière.
Je suis également très sensible et admiratif d’une autre catégorie de photographes : les directeurs de la photo. Je pourrais en citer bon nombre dont je suis réellement fan.
Fabiano Busdraghi : Est-ce que t’as un rêve photographique ? Quelle chose que tu n’as jamais faite et tu ne peux pas faire, quelque chose que tu espère voire, une invention qui doit voir le jour…
Didier Illouz : Mon rêve : pouvoir consacrer plus de temps à mon art, concrétiser mes idées, produire plus.
Pour l’invention, un chambre grand format avec un dos numérique pour moins de 2000 euros, ce serait bien.
Fabiano Busdraghi : Quel livre tu es en train de lire dans ce moment ? Quelle musique tu aime ? Quelques films préférés ?
Didier Illouz : le livre : L’essence du Tao de Pamela Ball
La musique : Boards of canada, Beck, les musiques de films… En ce moment j’écoute le dernier album de The Raconteurs et celui des Friendly Fires…
Quelques films : tant de films… L’assassinat de Jessi James, Amateur, le Seigneur des Anneaux, Into the wild, D’autres Mondes…