Adeline Mai
© Adeline Mai

Texte et photos par Adeline Mai.

 

A bas le temps qui m’échappe, fuit, s’envole. A bas le temps qui m’impatiente. A bas le temps qui me fait oublier. A bas le temps qui emporte les gens.

A bas le temps ; le mécanisme de mon appareil photo permet de fixer ce qui n‘existe réellement qu’un instant. A bas le temps, je le rattrape, et j’observe mes images, les fantômes qui sont dessus, ces revenants. Ces moments inexistants dans le présent. C’est pourquoi j’aime employer le mot medium photographique.

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Huit ans. Un jetable, entre mes mains, pour mes premiers voyages. Comme « NY est grandiose. » Les yeux grands ouverts, je dois me souvenir de tout. Si seulement mes yeux étaient une camera, à mémoire infinie. Les buildings sont si hauts, je suis si minuscule. Je suis frustrée je ne peux capturer les odeurs, l’odeur de la pluie, l’odeur de Chinatown, l’odeur ignoble des ordures qui traînent.

Quinze ans. J’observe mes amies, avec admiration, nostalgie, je les photographie, j’arrête la fuite du temps. Elles m’inspirent. Jeunes filles en fleurs, insouciantes, elles s’épanouissent, inconscientes de leur potentiel séduction. Plus tard, mes séries mode sont le reflet de ce que je connais : (Kristina) (Nathalie) je romance une réalité, je rêve, j’imagine.

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Kristina ne parle pas français, ni anglais, elle a 17 ans. Elle s’observe dans le miroir, sourit, aime le stylisme. Ça commence. Elle tente de comprendre ce que je ne peux expliquer, Kristina suggère, elle séduit naïvement. Je lui dit que je l’espionne, son regard change, je l’ennuie volontairement, je suis voyeuse (est ce un pléonasme de dire que je suis photographe et voyeuse ?). Notre jeu de rôle continue, je ne cesse de shooter, le bruit du capteur la rassure, elle est belle, tout va bien, et j’attends l’inattendu, sans lui montrer mon impatience, ce que je ne peux diriger, son rayon de beauté teinté d’érotisme. Oui! Il apparaît, tu es belle, oui, tu es superbe. Je l’encourage, elle continue, rentre dans le rôle, s’amuse.

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Nathalie est plus jeune, elle a quinze ans, son père l’accompagne, la taille de ses jambes, son visage, comment pourrait on penser qu’elle est encore une enfant, dans un corps de femme. J’exploite sa naïveté, sa pureté, et cette chose inexplicable, animale. Elle me propose ; son corps n’est plus le sien, mais un outil qu’elle contrôle parfaitement, gracieusement. Nathalie me fait confiance, élance son corps avec spontanéité, imagine une chorégraphie, danse lentement…. Je ne réduis pas mes modèles à des simples silhouettes m’apportant une satisfaction photographique ; c’est Nathalie, Nathalie est délicieuse. Irresponsable de sa beauté, une franchise captivante.

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Je grandis, mes photographies de femmes « ma femme » évoluent, mon jeu de rôle aussi. Cette fois-ci j’espionne Leona, elle joue le rôle de celle qui ne m’aperçoit pas. Un air boudeur, une timidité lui offre un e allure hautaine, nous sommes dans Blow up, au début du film. Je la surprends dans son jardin, de loin. Elle est parfaitement consciente de sa beauté, elle est plus âgée, elle a vingt ans.

Pause.

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Ma vie continue, je la reporte toujours, mes photographies sont mon journal intime. J’ai coupé mes cheveux lors d’une insomnie : elle passe un mauvais quart d’heure, je profite de l’ivresse de mes amis pour les déshabiller dans une foret, il me menace de se suicider, de sauter par la fenêtre, je m’enfuis dans les Cévennes et trouve la paix. Les paysages ne m’inspirent pas, je n’aime pas photographier les paysages. Les humains m’inspirent, et c’est l’échange que m’offre la personne photographiée qui m’intéresse. Je n’aime pas les paysages.

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Malgré leur beauté, malgré le sublime que la nature m’offre dans les Cévennes, je n aime pas les paysages. Je les imagine donc comme des courbes, les courbes d’un corps, et j’apprends à les apprécier, de jours en jours. Réconciliation.

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J’aime mes réveils à ses cotés, je les idéalise, puis j’exploite le lit, les draps et les modèles masculins. Je retrouve doucement mon sommeil, et rêve de voler. Mes sensations paraissent réelles, mon réveil est violent, étouffée par l’air dans lequel je flottais: irrespirable. Une légère noyade, en douceur. Un rêve ou un cauchemar, une sensation inconnue. Voici ma série underwater.

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La noyade ne se fait pas en douceur, la mort n’est pas encore là, j’imagine un coma profond, ou presque un coma dit « dépassé ». La mort n’est plus noire.

Il me déçoit, ma femme s’enfuit, puis s’abandonne.

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La femme dans mes photographies se retrouve doucement, dans le noir dans lequel elle s’est plongée. “Joue avec ces lumières, tu es perdue, elles te guident” et Lucyna proposait l’inexplicable une fois de plus.

Ma femme joue avec les hommes, dans cet hôtel où nous shootons toute la journée. Il est seize heures lorsque l’attachée de presse vient nous dire que nous n’avons pas le droit de shooter une femme dénudée dans cet hôtel. Trop tard. Les images sont sur ma pellicule et je les conserverai.

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Elle redevient séductrice, dominante, invulnérable.

Je me réconcilie avec les couples, j’admire mes duos préférés, mes amis en couples, mes couples d’amis. L’abandon des corps a une signification différente, le sommeil aussi.

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S’endormir, c’est s’endormir seul, à cote de quelqu’un. C’est rêver seul, à cote de quelqu’un. « It’s sad to fall asleep. It separates people. Even when you’re sleeping together, you’re all alone. » (A bout de souffle) Ils sont collés, ils ne forment plus qu’une entité. Ils sont un. J’immortalise cette entité qui ne durera pas, ne sera plus dans le futur.

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Les acteurs.

Ils sont parfois timides, presque gênés. Être photographe c’est devenir comique, distraire les gens, les mettre à l’aise.

- As-tu peur du vide ?

- Non.

- As tu peur d’avoir froid ?

- Non.

Iwan Rheon, qui joue un super héros (misfits), monte avec moi sur le toit du studio, à Londres. Une ambiance souvent plus calme, réservée, je réduis l’effectif autour de nous, l’intimité est plus agréable lors d’un portrait. Le bruit du capteur rassure encore, les acteurs laissent moins de morceaux d’eux même se faire absorber par la pellicule, et j attends encore l’instant ou je capterai un regard précieux.

 

Pour plus d’informations et de photos visitez le site de Adeline Mai.

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Un commentaire »

  1. Coudoux

    said, 3 juin 2011 @ 4:48 :

    Jadore, c’est tellement bien ecrit!

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